mercredi 24 décembre 2008

FIGURATION INTELLIGENTE

Je suis arrivé à sept heures. J’étais en avance car le spectacle ne commençait qu’une heure plus tard mais j 'aime bien me baigner de l'atmosphère des plateaux quand seuls les techniciens sont sur place. Les éclairages et la sono font l'objet d'une ultime mise au point. On s'imprègne du côté technique qu'il faut néanmoins s'empresser d'oublier lorsqu'on est sur scène. J'ai tout observé pendant une dizaine de minutes puis je me dirigé vers le bistro d’en face. Je connaissais bien le patron car j'avais déjà joué plusieurs fois dans ce théâtre des rôles de moindre importance. Il m’a reconnu dès mon entrée.
- Jean ! Salut vieux, c’est ce soir la première ?
J’ai acquiescé et commandé un café tandis-qu’il poursuivait :
- Le calva est offert par la maison.
J'ai bu le calva sans enthousiasme, juste pour le remercier de la délicatesse. Puis j'ai consulté ma montre. La demie de sept heures approchait. Je lui ai serré la main puis j'ai traversé la rue. Je me sentais très décontracté : j'avais potassé mon rôle une partie de la nuit et je le sentais bien. J'ai pénétré dans les locaux sans appréhension.
Ralph Manèse venait d'arriver. Le metteur en scène discutait avec les machinistes. Je me suis approché de lui, très simple.
- Bonjour Ralph...
Il s'est retourné et m'a contemplé de haut en bas, sans doute pour m' apprécier. Il m'a serré la main puis s'est retourné vers l'opérateur. J'ai compris qu'il était occupé et je me suis éloigné. C'est à ce moment que Kathia est entrée. Vêtue d'un manteau de Léopard, elle était splendide. Je lui ai souri mais elle ne m'a pas vu : elle se diri­geait vers Manèse. J'avais une scène avec elle. J'avais tout le temps de lui parler. Je me suis approché de Joe, le vieux machiniste. Il bu­vait à même le goulot d'un flacon de rhum. Il a manqué de s'étrangler pour me sourire. Je l'aimais bien Joe, un pauvre type, mais si nous n'étions pas du même monde ce n'était pas une raison pour ne pas le saluer. Je sais apprécier les gens quel que soit leur statut. La seule chose que je ne tolère pas, ce sont les minables. Mais Joe, c'était autre chose : il irradiait la bonté. Il m'a tendu son flacon que j'ai refusé. Je ne buvais presque plus d'alcool. Et la vue de ses dents abîmées ne risquait pas de me faire flancher. Je me suis assis dans un coin et j'ai attendu.
Le plateau s'est peu à peu vidé car l'heure de la représentation approchait, il n'est bientôt plus resté que Kathia qui était seule dans la première scène. J'étais tranquille pour un moment. Je me suis installé confortablement dans les coulisses. Jacques Martigaux n'était pas loin de moi. Il transpirait légèrement. Il apparaissait à la deuxième scène. Kathia était allongée sur un divan au centre du plateau. Les trois coups ont résonné lourdement puis le rideau s'est levé. Les applaudissements ont salué Kathia. Je la connaissais bien, nous étions même sortis ensemble. Mais je l'avais vite quittée en comprenant que nous n'étions pas faits l'un pour l'autre. Elle a commencé à pleurer comme la pièce l'exigeait. J'ai fini par ne plus rien entendre.
C'était bientôt mon tour d'entrer en scène. Je me suis levé, lissant mes cheveux du plat de la main, et me suis approché du plateau. Kathia était assise et attendait que j'apparaisse. Le metteur en scène m'a fait signe. J'ai poussé la porte. Kathia s'est retournée :
- Oh Pierre. . .
A ce moment, Jacques Martigaux est sorti de derrière une tenture où il s'était dissimulé pour les besoin de l'action. Kathia a pris un air terrorisé.
-C'est vous, l'amant de Laura?
J’ai répondu en y mettant tout mon talent:
- Oui ...
Le coup de feu a claqué et je me suis écroulé.
Le rideau est tombé sous les applaudissements des spectateurs.
Je les méritais, je ne crois pas que l'on aurait pu faire mieux que moi ce soir-là !

Alain SOLITE-2008

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